Septembre. C’est la rentrée. Et, comme chaque année, une sensation d’excitation mêlée d’angoisse m’envahit, une anxiété bien particulière, spécifique à cette période, une douce mélancolie qui éclot quand le temps devient maussade mais conserve la tiédeur estivale, et que les grandes vacances sont finies. J’ai le cafard, le cafard de la rentrée, plus précisément ; c’est ainsi que ma petite sœur et moi avions baptisé ce sentiment ambivalent d’attraction et de répulsion scolaire qui s’invitait la dernière semaine d’août, pour ne nous quitter qu’aux vacances de la Toussaint. Nous avions autant envie d’y retourner que de nous débiner, impatientes de découvrir la liste du matériel scolaire nécessaire, deux cahiers petit format gros carreaux 96 pages, un double-décimètre, un stylo vert, un stylo bleu, mais pas de stylo rouge parce que c’est réservé à la maîtresse l’encre rouge, deux crayons HB […]. Pare que c’est un peu la roulette russe la rentrée. On commence par découvrir ceux que l’on va devoir supporter pendant neuf mois, celui qui a toujours de la morve séchée sous le nez et de la bave de nuit aux coins des lèvres, celle que tout le monde aime et que je détesterai d’emblée car je ne serai jamais elle, celle qui, pur-sang surentraîné par ses parents, a sauté une classe, porte des lunettes et lève toujours le doigt plus vite et plus haut que les autres, le plus petit, le plus gros, le plus moche, le caïd qui te pique tes billes, tes stickers et tes bonbons à la récré, le jumeaux tout le temps habillés en jogging, comme si c’était tous les jours jeudi, le clan élastique contre le clan corde à sauter, le fayot, le timide, le chouineur, la crâneuse, la sainte nitouche et la dépressive. D’emblée, ils sont tous hyper à l’aise dans la recrée, ils jouent […], ils ne se rendent pas compte de ce qui se prépare je pense, la cloche va sonner, et soudain va surgir le visage de celui ou celle qui va nous manger tout cru. Le Maître. La Maîtresse. […] C’est comme ça, c’est la règle, je n’ai jamais pu trouver le secret de ceux qui parvenaient à s’infiltrer dans la classe de la maîtresse sympa, celle qui a des tortues et des cochons d’Inde, celle qui sourit, qui a les cheveux auburn et dont le parfum sent si bon qu’il imprègne ces lieux pourtant déjà chargés d’odeurs fortes et diverses. L’eau de javel, la naphtaline, le chou de Bruxelles qui cuit déjà pour le premier service, celui d’11h30, le savon jaune accroché au mur qui tourne sur lui-même, […] le vieux papier des cartes de géographie, [etc.].
Decharrière, Hadia (2017) : Grande Section. Paris : JC Lattès, pp. 13-15.