Agradecimientos

Publicada en el marco del Proyecto de Investigación “Autoficción, compromiso e identidad: Voces de mujer en las xenografías francófonas de l’extrême contemporain” (Referencia externa: SI/PJI/2021-00521), subvencionado por la Comunidad de Madrid desde el 01 de enero de 2022 al 31 de diciembre de 2023 y adscrito a la Universidad Autónoma de Madrid, esta página web persigue el objetivo de compartir nuestras publicaciones científicas y difundir otras informaciones de interés con carácter divulgativo. Así, pretendemos que todas aquellas personas interesadas en descubrir, aprender y profundizar sobre la literatura francesa y francófona actual escrita en clave de mujer.

Por ello, tenemos que empezar dando las gracias, muchas gracias, a todos los que nos leéis y nos seguís.

EQUIPO

 Gracias al equipo:

1. Margarita Alfaro
2. Chloé Chaudet
3. Beatriz Mangada
4. Vicente Montes
5. Diego Muñoz
6. Ana Belén Soto

Puedes consultar el perfil de cada miembro en el siguiente enlace
https://www.elitegrupodeinvestigacionuam.com/miembros.html


Gracias por haber contribuido a reflexionar sobre una perspectiva social y humanista de la literatura en clave de mujer. Para ello, nos hemos inscrito en las líneas de investigación del Grupo de Investigación consolidado dirigido por Margarita Alfaro titulado Plurilingüísmo y Literatura Transcultural en Europa

ACTIVIDADES




ACTIVIDADES
Seminario “Representación de la identidad migrante en la Europa actual: Retos y desafíos socioculturales de la Francofonía”, impulsada por la Universidad Autónoma de Madrid a través del Vicerrectorado de Internacionalización, en colaboración con la Dirección General de Cooperación con el Estado y la Unión Europea de la Comunidad de Madrid.



https://www.comunidad.madrid/actividades/2022/jornada-representacion-identidad-migrante-europa-actual-retos-desafios-socioculturales-francofonia
II Mesa redonda “Vivencias en la diáspora: Dalila Azzi Messabih y Deborah Ekoka”. Organizada por la Universidad de Oviedo, la Fundación El Pájaro Azul y la Agencia Asturiana de Cooperación al Desarrollo.
Curso de verano: “Nuevas identidades. Nomadismo sin fronteras y ecofeminismo en acción”, Universidad Complutense de Madrid.
Semana de la Ciencia: “Taller de lectura y traducción de relatos literarios femeninos en torno a la interculturalidad”, Universidad Autónoma de Madrid.



https://www.uam.es/uam/investigacion/cultura-cientifica/actividades/semana-ciencia-innovacion-22






Curso: “Los ODS a través de la literatura en el aula de FLE”. CPR de Jaráiz de la Vera.
Escritores Africanos: Entrevista 19_Koutchoukalo Tchassim



https://www.youtube.com/watch?v=YwnV0UqyvUU
Semana de la Ciencia: “Taller de lectura y traducción de textos literarios francófonos: Expresar los paisajes naturales”



https://www.semanacienciamadrid.org/actividad/taller-de-lectura-y-traduccion-de-textos-literarios-francofonos-expresar-los-paisajes

PUBLICACIONES

Voces de mujer en l´extreme contemporain: hacia una cartografía literaria de las xenografías francófonas

Varios autores - 2023

Anuario de literatura comparada: literatura del regreso II: el regreso (im)posible en la narrativa francófona contemporánea

Varios autores - 2023

 De la francofonía a la literatura intercultural francófona en Europa: las xenografías literarias

Margarita Alfaro - 2023

Poéticas de la memoria y la autoficción en tres escritoras francófonas del entorno mediterráneo

Beatriz Mangada - 2023

Paisajes del retorno en la obra literaria de Georgia Makhlouf

Beatriz Mangada - 2023

De Fatou Diome a Fatoumata Sidibé: el ensayo como instrumento de crítica social de las sociedades del siglo XXI

 Vicente Montes - 2023

Xenografías femeninas y autoficción en la Francia actual: leer experiencias migrantes de menores

 Ana Belén Soto - 2023

Écrivaines interculturelles prancophones en Europe: regards creatifs, voix inclusives. Avant-propos

 Varios autores - 2022

Le voyage de l´immigration postcoloniale: partir ou le malheur d´un rêve depuis le regard masculin et féminin

Margarita Alfaro - 2022

"La representación de Kinshasa en la novela gráfica contemporánea" en Voces africanas II. Espacios

Diego Muñoz - 2022

"Mujer migrante y espacio urbano en la obra narrativa de Kim Thúy" en Mujeres en la ciudad: representaciones literarias y artísticas

Diego Muñoz - 2022

Aproches de la culture féminine dans l´Asie et l´Océanie francophones

Ana Belén Soto - 2022

De cuento en cuento. Mujeres y relatos de largo recorrido

Ana Belén Soto - 2022

EL FRAGMENTO DEL MES

Vous parlez très bien le français. Pourquoi êtes-vous dans un cours de débutants ? Je lui dis : - Je ne sais ni lire ni écrire. Je suis une analphabète. Il rit : - On verra tout cela. Deux ans après, j’obtiens mon certificat d’Études françaises avec mention honorable. Je sais lire, je sais de nouveau lire. Je peux lire Victor Hugo, Rousseau, Voltaire, Sartre, Camus, Michaux, Francis Ponge, Sade, tout ce que je veux lire en français, et aussi les auteurs non français, mais traduits, Faulkner, Steinbeck, Hemingway. C’est plein de livres, de livres compréhensibles, en fin, pour moi aussi. J’aurai encore deux enfants. Avec eux, j’exercerai la lecture, l’orthographe, les conjugaisons. Quand ils me demanderont la signification d’un mot ou son orthographe, je ne dirai jamais : - Je ne sais pas. Je dirai : - Je vais voir. Et je vais voir dans le dictionnaire, inlassablement, je vais voir. Je deviens une passionnée du dictionnaire. Je sais que je n’écrirai jamais le français comme l’écrivent les écrivains français de naissance, mais je l’écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux. Cette langue, je ne l’ai pas choisie. Elle m’a été imposée par le sort, par le hasard, par les circonstances. Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi. Le défi d’une analphabète.



Kristof, Agota (2004): L’Analphabète: Récit autobiographique. Chêne-Bourg : Éditions Zoé, pp. 55.
L’apprentissage purement académique et linguistique du français ennuyait Roxane. Elle voulait apprendre la langue dans le texte, dans son contexte. Elle voulait lire les grandes œuvres, les grands auteurs et tout de suite. Seulement pour lire, encore fallait-il savoir lire. Elle alla à la bibliothèque du quartier. Une bibliothécaire lui proposa de commencer par quelques romans en version simplifiée pour les étrangers. Elle lui donna La Symphonie pastorale d’André Gide, et ce fut le premier livre que Roxane lut en français. Elle se mit à lire ainsi des romans. Elle travaillait assidûment*. Elle cherchait les mots, un par un, dans son dictionnaire français-persan. Chaque mot était une épreuve et chaque verbe un défi. […]
Les nouveaux mots, il fallait les apprendre, les mémoriser, les acquérir. Il fallait apprivoiser les mots étrangers*. Il fallait se plier aux règles intransigeantes de la grammaire. Mémoriser les conjugaisons… Elle travaillait des heures et des heures, copiait les mots et leurs significations dans son cahier, ainsi que les verbes et leur conjugaison aux différents temps, le présent, l’imparfait, le plus-que-parfait, le passé simple, le passé composé, le subjonctif présent et le futur, surtout le futur, ce temps qui lui tenait à cœur. [...] Chaque nuit, avant de s’endormir, elle relisait les nouveaux mots et leurs significations, répétait les conjugaisons. Et chaque matin, tout était oublié.
—Suis-je devenue amnésique ? C’est le passé que je veux oublier, pas les nouveaux mots. […]
Le problème, c’était la pratique. Roxane n’avait personne à qui parler en français. Dans cette ville, il était impossible de nouer des liens avec les gens, impossible de comprendre qui était qui, qui disait quoi. Pour échanger une phrase digne de ce nom avec un Parisien ou une Parisienne, il aurait fallu attendre des mois, voire des années. Vous pouviez vivre à Paris pendant des années sans avoir jamais l’occasion de parler à qui que ce fût, sauf à votre concierge, et pour ça encore fallait-il en avoir une. L’immeuble de Roxane n’avait pas de concierge. Alors, comment faire pour parler ? Les seuls bouts de phrase qu’elle avait l’occasion de prononcer, c’était : bonjour, bonsoir, une baguette s’il vous plaît, merci beaucoup, au revoir. À la boulangerie, comme au supermarché, il y avait toujours du monde qui attendait à la caisse, il valait mieux ne pas retarder la vendeuse ou la caissière.

Comment peut-on être français?, 2006, pp. 47-53
En arrivant ici, j’ai découvert le Paris de Barbès, de Belleville et des Gobelins. Le Paris des Noirs, des Arabes et des Asiatiques. Celui des quartiers populaires intra-muros […]. Les restaurants veggies qui remplacent progressivement les petits cafés de quartier et détonnent par leur décoration minimaliste et verte, au milieu des magasins de perruques. Avant, je ne savais pas que ce Paris-là existait. Je m’étais forgé mon propre mythe à travers la littérature et le cinéma. Dans les rues du 6e arrondissement, ce mythe a pris vie la première fois que j’ai franchi le seuil de Sciences Po. Pour accéder aux grandes portes rouges de l’École de journalisme, située, elle, non loin du métro Odéon, il fallait traverser un boulevard riche en symboles, passer devant Le Café de Flore que j’associais à la querelle entre Albert Camus et Jean-Paul Sartre ou encore la boutique de la défunte grande couturière Sonia Rykiel devant laquelle je m’arrêtais toujours. Le magasin était conçu comme une grande bibliothèque de livres et de talons hauts. Un certain idéal féminin au cœur de Saint-Germain-des-Prés, le quartier historique de la vie intellectuelle et artistique où se sont installées des boutiques de Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent et Christian Louboutin. J’éprouvais une certaine fierté à caresser des yeux sur mon passage toute ces grandes enseignes de luxe avant de rejoindre les bancs du prestigieux Institut d’études politiques. J’avais la sensation que le simple fait d’arpenter ces lieux me rendait importante.

Slaoui, Nesrine (2021) : Illégitimes. Paris : Fayard, p. 157.
Ving-quatre jours à Paris – le temps nécessaire et suffisant pour voir ses jolies illusions fondre comme un bout de sucre dans la bouche. Une semaine m’avait suffi pour amortir le choc de la première confrontation avec la capitale occidentale : une autre pour m’arranger une petite existence parisienne, et déjà l’année universitaire commençait.
La Sorbonne était une fourmilière à la vitalité déprimante. Un flux bigarré d’étudiants se déversait dans des couloirs sans couleur précise, quelques distributeurs automatiques crachaient des gobelets de boissons chaudes. Le brouhaha, les échos des rires s’amplifiaient sous les hauts plafonds.
Dans mon pays, j’avais voulu étudier les lettres françaises. On m’immergea donc dans Le Roman de la Rose pendant trois années d’académisme austère, je ne pus en ressortir la tête. Tout bien pensé, la littérature médiévale avait l’avantage d’être politiquement très correcte et de ne pas déranger le régime communiste […]
À la Sorbonne, les cours se déroulaient selon un scénario bien rodé. Du haut de sa chaire, le professeur présentait le sujet de son cours avant de distribuer une bibliographie à vous donner le vertige. Le cœur serré, je rangeais les photocopies. Ma connaissance de la langue française se révélait très lacunaire. Les ouvrages à lire, souvent récemment parus, devaient être achetés. Une petite étiquette blanche indiquant le prix me les rendait inaccessibles.
Les premières semaines, je ne connus personne. Il m’était difficile d’aborder les étudiants, de pénétrer cet univers inconnu et d’apparence hostile. Un jour, dans la cour, une fille que j’avais remarquée dans mon groupe se tourna brusquement vers moi.
- T’aurais pas une clope ?
Je luis tendis mon paquet, trop heureuse de pouvoir adresser la parole à quelqu’un :
- Tiens. Je n’ai pas d’allumettes.
Ma réplique eut un effet immédiat.
- Tu as un accent ?
- Oui!
- Tu t’appelles comment ?
- Hanna
- Moi, c’est Isabelle. On boit un café ensemble ?
Je fis un signe de tête, la gorge desséchée d’émotion. Nous allâmes à l’Escolier, lieu que je n’avais pas osé approcher auparavant, et nous nous assîmes en terrasse. Elle fit signe au garçon avec une dextérité innée qui suscita mon admiration. Le soir même j’allais m’entraîner à répéter ce geste devant une glace.
- Tu veux un café ?
- Oui.
- Alors un café et un chocolat chaud, s’il vous plaît.
Je fus surprise qu’on puisse commander autre chose qu’un café ! Le garçon s’éloigna.

Sur le bout de la langue, Éditions 00h00, p. 11-13.
Aujourd'hui j'ai lu : il ne reste pas plus de trente ans à notre planète, à la suite de la fonte des glaciers et de la dilatation thermique des océans, l'eau va monter de plus de 3 mètres avant la fin du siècle. Les villes situées sur les côtes seront détruites, 600 millions de personnes vont se retrouver sous l'eau. J'ai imaginé New York inondé, j'ai vu des baleines traverser ses avenues. Je me suis vue sur une autre planète -le niveau du sang monte, je m'étouffe. J'ai senti que je suis allée trop loin, j'ai détourné le regard. Ana aurait pu regarder la catastrophe en face sans détourner les yeux, pour la prévenir. Ana regarde là où ça fait mal. Elle sait que la douleur est un départ.

De l'autre côté de la peau, Aliona Gloukhova, París, Gallimard, 2020, p. 65.
C’est que ma mère ne jure que par l’immersion. Elle attend de moi que je réussisse cette histoire de bain linguistique, que je me débrouille le plus vite possible. Elle serait très déçue du contraire, et moi aussi. Je crois même que je trouverais cela humiliant après tout ce qu’elle m’a dit à propos de l’importance de réussir ce premier bain français. (…)
Dans la cour de mon école, pourtant, j’essaye de ne pas trop parler. Je n’avais pas envie qu’on me repère. Non seulement parce que j’ai peur d’entrer dans une conversation que je ne maîtriserais pas (…). Mais aussi parce que je n’aime pas montrer mon accent. Il me fait honte. (…) Dès que je suis seule, pourtant, devant le miroir de la salle de bains, je m’entraîne à prononcer des mots compliqués, avec plein de r, des g et des s entre deux voyelles, ceux qui grésillent et qui font comme des chatouilles au niveau du palais – arrosoir, paresseuse, gélatine, raison, raisin, raisonne. Je m’entraîne aussi à prononcer à toute allure des mots avec des u – tu, tordu, mordu, pointu – et même des u tout seuls, de très longs uuu que je fais durer le plus longtemps possible, jusqu’à ce que je n’aie plus de souffle. Pour les u, du temps de mes cours à La Plata, Noémie m’avait donné une astuce : placer les lèvres comme si l’on voulait dire ou mais dire i. Tu verras, ça marche.
C’est vrai que ça marche. Il faut faire croire à ses lèvres qu’on va dire une chose et en dire une autre. Au début, c’est comme si on leur tendait un piège. Les premières fois, c’est vraiment étrange de découvrir qu’on peut les berner aussi facilement – on est presque déçu que le piège à u tienne ses promesse. Mais peu à peu les lèves se laissent faire, elles apprennent à faire des u sans qu’on ait besoin de les prendre par la ruse. J’espère qu’un jour ça deviendra une habitude – j’y arriverai.
(…) Mais un jour, pour la première fois, j’ai pensé en français. Sans m’en rendre compte, comme ça. J’ai pensé et parlé en français en même temps.Ça s’est passé un matin, donc. Ma mère se préparait à quitter la boîte à tuyaux du salon – là où tout est orange, marron et jaune- pour aller s’occuper des enfants de Claparède. Elle était en train de rassembler ses affaires, tandis que moi, à côté des canalisations que la lumière du matin dorait légèrement, j’avais la tête posée sur Les fleurs bleues de Raymond Queneau. C’est alors que, soudain, je me suis entendue demander à ma mère, depuis mon lit : tu m’as laissé les clés ? (…)
Ma surprise était telle qu’elle m’a entièrement tirée de mon sommeil, d’un coup. Je suis restée un long moment les yeux fixés sur les tuyaux de ma chambre. Pour la première fois, dans ma tête, je n’avais pas traduit. J’avais trouvé l’ouverture.

Le bleu des abeilles, 2013 : pp. 36-38; pp. 117-118
Septembre. C’est la rentrée. Et, comme chaque année, une sensation d’excitation mêlée d’angoisse m’envahit, une anxiété bien particulière, spécifique à cette période, une douce mélancolie qui éclot quand le temps devient maussade mais conserve la tiédeur estivale, et que les grandes vacances sont finies. J’ai le cafard, le cafard de la rentrée, plus précisément ; c’est ainsi que ma petite sœur et moi avions baptisé ce sentiment ambivalent d’attraction et de répulsion scolaire qui s’invitait la dernière semaine d’août, pour ne nous quitter qu’aux vacances de la Toussaint. Nous avions autant envie d’y retourner que de nous débiner, impatientes de découvrir la liste du matériel scolaire nécessaire, deux cahiers petit format gros carreaux 96 pages, un double-décimètre, un stylo vert, un stylo bleu, mais pas de stylo rouge parce que c’est réservé à la maîtresse l’encre rouge, deux crayons HB […]. Pare que c’est un peu la roulette russe la rentrée. On commence par découvrir ceux que l’on va devoir supporter pendant neuf mois, celui qui a toujours de la morve séchée sous le nez et de la bave de nuit aux coins des lèvres, celle que tout le monde aime et que je détesterai d’emblée car je ne serai jamais elle, celle qui, pur-sang surentraîné par ses parents, a sauté une classe, porte des lunettes et lève toujours le doigt plus vite et plus haut que les autres, le plus petit, le plus gros, le plus moche, le caïd qui te pique tes billes, tes stickers et tes bonbons à la récré, le jumeaux tout le temps habillés en jogging, comme si c’était tous les jours jeudi, le clan élastique contre le clan corde à sauter, le fayot, le timide, le chouineur, la crâneuse, la sainte nitouche et la dépressive. D’emblée, ils sont tous hyper à l’aise dans la recrée, ils jouent […], ils ne se rendent pas compte de ce qui se prépare je pense, la cloche va sonner, et soudain va surgir le visage de celui ou celle qui va nous manger tout cru. Le Maître. La Maîtresse. […] C’est comme ça, c’est la règle, je n’ai jamais pu trouver le secret de ceux qui parvenaient à s’infiltrer dans la classe de la maîtresse sympa, celle qui a des tortues et des cochons d’Inde, celle qui sourit, qui a les cheveux auburn et dont le parfum sent si bon qu’il imprègne ces lieux pourtant déjà chargés d’odeurs fortes et diverses. L’eau de javel, la naphtaline, le chou de Bruxelles qui cuit déjà pour le premier service, celui d’11h30, le savon jaune accroché au mur qui tourne sur lui-même, […] le vieux papier des cartes de géographie, [etc.].

Decharrière, Hadia (2017) : Grande Section. Paris : JC Lattès, pp. 13-15.
Décidément, tout t’est interdit en ce moment. Grimper sur les arbres, se balancer trop haut, sauter d’un tremplin ne sont pas des activités de petite fille, te dit ta mère en allumant sa première cigarette de la journée, et tu comprends que l’élévation spatiale, comme tout ce qui est glorieux en général, est réservée aux garçons. Il y a comme une distribution des tâches : tous les garçons que tu connais, ou dont on te parle, camarades, voisins, cousins veulent devenir des cosmonautes un jour, c’est une évidence, cela va de soi et ce serait étrange, voire extravagant que cela soit autrement. Ils collent sur leurs murs des affiches avec le visage souriant de Iouri [Gagarine], des images de soucoupes volantes et d’autres objets non identifiés par toi, et soupirent avec émoi lorsque à la télévision on montre des images d’archive du premier vol spatial.
[…] Les filles ont des objectifs professionnels plus imprécis et franchement dépourvus d’originalité. Dans le flou général des réponses, trois propositions reviennent le plus souvent : infirmières, ballerines, ou pareil que maman. Comme les deux premières te paraissent peu enviables, tu préfères t’en tenir à la troisième, valeur plus sûre mais dont tu regrettes un peu l’évidente absence d’héroïsme : ta mère travaille à la radio, objet inutile, car toujours éteint. Tu te demandes si un autre scénario serait envisageable, qui conviendrait mieux à tes conceptions de l’avenir et du monde en général.
[…] Tu décides de dévoiler tes cartes : exposer ta mission secrète, pour te faire remarquer et pour obtenir un conseil car tu sais que [ton cousin] te comprendra. Tu ne pourras jamais être Iouri Gagarine parce que tu es une pisseuse, te dit ton grand cousin Andreï […]. Tu es révoltée […]. Tu fermes les yeux, tu, tu serres les dents et tu plonges dans un silence qui dure quelques siècles, au moins (p. 25-26).
[Puis, tu découvres] LE PETIT MUSÉE DU COSMONAUTE. Tu t’avances dans l’espace sombre et humide, sans savoir si tu en as le droit […]. La révélation est fulgurante. Tu lis et relis avec acharnement les noms des cosmonautes dont deux te coupent le souffle sur-le-champ : Gueorgui Ivanonv qui est bulgare et Valentina Tereschkova qui est une femme. […] À partir de ce jour, tu tenteras tout pour devenir comme eux (p. 30-31).

Gueorguieva, Elitza (2016) : Les cosmonautes ne font que passer. Paris : Verticales, p. 25-31.
Heureusement, cette nuit on m’a réservé une chambre dans un très bel hôtel tout près de l’OIF, avec un balcon qui donne sur la tour Eiffel. Demain matin je n’aurai pas à courir. Je n’arrive toujours pas à dormir, et les pensées se bousculent dans ma tête. J’ai déjà le trac et le sommeil me boude. Je ferme les yeux un instant, j’écoute le silence.
Quand j’étais enfant, maman me tapotait les fesses pour m’endormir. Mais là, il faut trouver une autre solution. Je ne vais pas me tapoter les fesses toute seule. Tiens, je vais compter les moutons, comme on dit ici, en France. La première fois que j’ai entendu cette expression, ça m’a fait sourire, comment peut-on compter des moutons pour s’endormir ? Pour compter, on a besoin d’être concentré, et quand on est concentré, on ne peut pas dormir. Les Français s’amusent avec nos proverbes africains, mais, parfois, leurs expressions…
Je regarde sur le côté droit du lit pour m’assurer que les textes de toutes mes interventions et tous les discours que j’ai écrits sont bien là, sur la table de chevet. Je les ai tous répétés et je les connaissais par cœur avant de me coucher. Cela me rassure de les avoir près de moi. Je me demande si la robe ne serait pas mieux qu’un pantalon. Le pantalon, c’est chic, mais la robe, c’est classe. Heureusement que j’ai tout pris. La valise était un enfer à transporter, mais au moins j’ai le choix. Je choisirai tout à l’heure. Plus tard. La robe, c’est classe, mais le pantalon…

Ouedraogo, Rouliata (2020): Du miel sous les galettes, pp. 9-10.
Je me souviens d’élèves à l’école secondaire qui se plaignaient de leur cours d’histoire obligatoire. Jeunes comme nous l’étions, nous ne savions pas que ce cours était un privilège que seuls les pays en paix peuvent s’offrir. Ailleurs, les gens sont trop préoccupés par leur survie quotidienne pour prendre le temps d’écrire leur histoire collective. Si je n’avais pas vécu dans le silence majestueux des grands lacs gelés, dans le plat quotidien de la paix, dans l’amour célébré en ballons, en confettis, en chocolats, je n’aurais probablement jamais remarqué cette vieille femme qui habitait à proximité du tombeau de mon arrière-grand-père, dans le delta du Mékong. Elle était très vieille, tellement vieille que la sueur coulait dans ses rides comme un ru qui trace un sillon dans la terre. Elle avait le dos courbé, tellement courbé qu’elle était obligée de descendre les marches à reculons pour ne pas perdre l’équilibre et débouler la tête la première. Combien de grains de riz avait-elle plantés ? Combien de temps avait-elle gardé ses pieds dans la boue ? Combien de soleils avait-elle vus se coucher sur sa rizière? Combien de rêves avait-elle écartés pour se retrouver pliée en deux, trente ans, quarante ans plus tard ?
On oublie souvent l’existence de toutes ces femmes qui ont porté le Vietnam sur leur dos pendant que leurs maris et leurs fils portaient les armes sur le leur. On les oublie parce que, sous leur chapeau conique, elles ne regardaient pas le ciel. Elles attendaient seulement que le soleil tombe sur elles pour pouvoir s’évanouir plutôt que s’endormir. Si elles avaient pris le temps de laisser le sommeil venir à elles, elles se seraient imaginé leurs fils réduits en mille morceaux ou le corps de leurs maris flottant sur une rivière telle une épave. Les esclaves des Amériques savaient chanter leur peine dans les champs de coton. Ces femmes, elles, laissaient leur tristesse grandir dans les chambres de leur cœur. Elles s’alourdissaient tellement de toutes ces douleurs qu’elles ne pouvaient plus se relever.

Thúy, Kim (2009) : Ru, p. 51